« La maladie du contrôle et la nécessité de l’évaluation »

« Le doigt montre la lune et le naïf regarde le doigt... »

II y a quatre mois, Jacques est arrivé, sans connaître un mot d’anglais, dans une famille anglaise où personne ne parle français. Il vit maintenant ici ; il est mêlé aux espoirs, aux contraintes, aux conflits, à la tendresse, aux distractions, aux soucis, aux projets de cette famille. Il écoute, il s’intéresse, il tente de discuter sur ce qu’il voit à la télévision, sur ce qu’il lit dans le journal ; il trouve que Mary a raison et que son père est trop sévère. Il demande des explications dès qu’il ne comprend pas. Il s’aide, de temps en temps, d’un dictionnaire. Ses amis anglais trouvent qu’il se « débrouille » de mieux en mieux, et c’est vrai. Il n’est plus en difficulté dans le groupe de jeunes de son âge avec qui il va partir pour ce voyage qu’ils ont longtemps préparé ensemble : il ne se perd plus dans Londres et obtient ce qu’il désire dans les magasins. Lorsqu’il ne comprend pas, ou lorsqu’il ne parvient pas à se faire comprendre, il est le premier à s’en apercevoir et il est celui qui le regrette le plus.
Aussi, il questionne, cherche un autre moyen de dire. Il utilise son échec pour faire des progrès.

C’est la vie dans laquelle il est ainsi engagé et l’agrément, ou l’importance de la communication, qui lui donnent la mesure de sa réussite et le sens dans lequel il doit continuer d’évoluer. Jacques est le premier informé de ses progrès et de ses échecs ; et les autres l’aident à en être le meilleur juge.

Personne ne lui demande de faire des phrases pour ne rien dire ou pour raconter à quelqu’un qui la connaît (ou de toute manière, ne s’y intéresse pas) une histoire à partir de trois gravures. Personne n’a besoin de contrôler ce qu’il sait dire puisque ce qu’il sait dire est utilisé dans ce qu’ils vivent tous ensemble. La sanction permanente de ses progrès existe à travers une communication qui s’enrichit et le satisfait de plus en plus. Il est attentif à ce qui ne va pas, et son entourage aussi qui s’y trouve directement impliqué, car ce qui ne va pas fait obstacle aux échanges qu’ils veulent tous avoir ensemble. Il fait des efforts, il a recours à ceux qui l’entourent pour demander des explications, pour faire répéter, pour se faire expliquer autrement, pour écouter ce qu’il ne sait pas dire, etc. Le jugement sur son propre apprentissage n’est pas séparable de son action même de vivre ; les critères de jugement sont ceux-là même de l’action ; ils sont de même nature et ils s’apprécient par rapport au projet dans lequel cette action se déroule.

Il n’est pas possible d’apprendre en faisant quand on n’a rien d’autre à faire que d’apprendre...

Maintenant qu’il est en Angleterre, Jacques compare la manière dont il progresse avec ce qu’il vivait au lycée lorsque les professeurs lui enseignaient l’allemand ou les mathématiques. Il perçoit bien la différence : au lycée, il n’était pas nécessaire de parler allemand ni d’utiliser les mathématiques pour régler un problème qui se serait posé au groupe ou à quelques individus. Il n’est pas possible, à l’école, d’apprendre en faisant, car on n’a rien d’autre à faire que d’apprendre. On est là pour apprendre, pas pour vivre ensemble. De ce fait, on ne peut apprendre qu’en recevant un enseignement. On a enseigné l’allemand à Jacques, il ne l’a jamais appris. Il ne l’a jamais construit à partir de sa vie ; il a tenté de le construire à partir de situations de « faire semblant » afin de pouvoir l’utiliser plus tard en situations réelles.

Dès lors, il n’y a pas, dans l’enseignement, de possibilités de sanctions fonctionnelles intégrées à l’action puisqu’il n’y a pas d’action. Dans cette famille anglaise, Jacques a la maîtrise permanente d’une auto-évaluation et d’un auto-ajustement auxquels les autres participent activement par leurs réactions, leur incompréhension, leur impatience, leurs sollicitations. Au lycée, non. Par rapport à quelle nécessité pourrait se faire cette auto-évaluation ? Par rapport à la réussite de quelle action, Jacques pourrait-il éprouver, lui-même, sa nouvelle manière d’être parleur d’allemand ?

Le contrôle est une préoccupation de l’enseignant pour son enseignement

La seule référence possible n’est pas fonctionnelle : Jacques va être seulement comparé aux effets supposés de l’enseignement qu’on lui donne. On va contrôler que Jacques suit « normalement » l’enseignement de l’allemand, et on en conclura qu’il apprend « normalement » l’allemand. Tous ceux qui, après avoir étudié pendant plusieurs années une langue étrangère, ont dû demander leur route dans le pays même, comprendront la différence ! Le contrôle, c’est une préoccupation liée à l’enseignement tandis que l’évaluation apporte au sujet les informations sur son apprentissage. Une preuve que le contrôle ne concerne pas l’apprentissage, c’est qu’il a toujours donné lieu à une sanction qui est d’une nature différente de ce qui est en train de se maîtriser : une récompense, une punition, une note, un classement, le tableau d’honneur, etc. L’enseignant est bien obligé de contrôler puisqu’il n’y a pas de fonctionnalité de la situation dans laquelle l’apprenti est engagé. On retrouve cette évidence en lecture : quand un adulte met un texte sous le nez d’un enfant en disant : « Lis-moi ça », il prouve, par ce « moi », que cette lecture ne concerne pas l’enfant. Il tente de vérifier le profit que l’enfant a tiré de son enseignement, et pas du tout le profit que l’enfant tire de la lecture. « Lis ça ! » « Mais pourquoi faire ? » devrait répondre l’enfant. Le contrôle renvoie à l’activité du contrôleur, pas à l’activité du contrôlé : « Dis-moi comment tu contrôles et je te dirai comment tu enseignes. Je te dirai ainsi qui tu es... ». Sans parler de l’usage du contrôle comme moyen de pression. « Si je ne contrôlais pas ; ils n’apprendraient même pas leurs leçons... ». L’enseignant ne reproduit-il pas ainsi son propre statut de spécialiste contrôlé ? Heureusement, et Jacques y pense en riant, que lorsqu’il était bébé, ses parents ont su sans y avoir réfléchi qu’il allait apprendre à parler en vivant, et non en recevant un enseignement de la parole qui aurait commencé par les sons les plus simples... Il l’a échappé belle, Jacques ! Et tous les enfants, parce qu’ils ont appris, parce qu’ils « se sont appris » grâce à l’aide disponible dans le milieu, savent parler. Il n’y a jamais de déconvenues. En revanche, que d’échecs à travers l’enseignement ! Et malgré les contrôles !

Les contrôles doivent vérifier la qualité de l’aide qu’on apporte...

Car pourquoi faire des contrôles ? Nous l’avons montré ; Jacques n’a pas eu besoin de contrôle lorsqu’il était bébé et apprenait sa langue maternelle ou la marche, pas plus qu’aujourd’hui quand il apprend l’anglais. S’il n’avait pas parlé à trois ans, ou s’il avait fait des chutes innombrables, son entourage se serait inquiété et on aurait procédé à un certain nombre d’examens.

S’il se casse le bras, le plâtre ne guérira pas la fracture, mais aidera Jacques à guérir. La radiographie va permettre de contrôler que le plâtre joue ce rôle utile. Les contrôles n’ont de sens que par rapport aux aides qu’on apporte ; en soi, ils seraient même dangereux, on connaît les effets nocifs des rayons X. Il ne s’agit pas de se conduire comme le jardinier qui déterrait chaque matin la graine qu’il avait semée pour vérifier qu’il n’y avait rien d’anormal et que ses arrosages du soir étaient efficaces...

C’est pourtant ce qu’on fait avec la lecture, en classe et à la maison. Les actes de contrôle de la lecture sont des actes d’anti-lecture. Si vous avez été sensible à ce que nous avons dit précédemment, vous savez qu’un lecteur, c’est quelqu’un qui sait ce qu’il cherche dans l’écrit, qui explore l’écrit avec ses yeux en anticipant les indices qui vont lui permettre de trouver les réponses, qui intègre l’information nouvelle à ce qu’il sait déjà et porte ainsi un jugement qui le conduit à cesser ou à poursuivre sa recherche. Et ceci, aussi bien lors de la lecture d’un roman que de la consultation d’une recette de cuisine.

Il n’existe alors aucun moyen de contrôler ce comportement de l’extérieur, à l’insu du lecteur, ni de contrôler ce comportement (qui suppose demande, intérêt et recherche de la part du lecteur) dans une situation artificielle dont le but n’est pas quelque chose qui préoccupe le lecteur, mais quelque chose qui préoccupe le contrôleur. La manière dont Lucien, malade, écoute, interprète et comprend les échanges entre le médecin et sa maman ne peut pas être décrite en présentant à Lucien, en bonne santé, une conversation fictive entre un monsieur qui serait le docteur et une dame qui serait sa maman. Ce qu’on mesure, dans ce cas, c’est seulement la manière dont Lucien se prête à des situations de « faire semblant ».

Mais ils doivent être faits en situation vraie

Encore y a-t-il plus de points communs entre cette situation vraie et la situation jouée qu’entre un acte de lecture commis par Lucien (par exemple, lorsqu’il feuillette le journal pour savoir si l’émission qu’il veut voir n’est pas à la même heure que celle que son père a décidé de regarder) et le fait de prononcer à voix haute une suite de mots qu’il voit...

Cette manie des contrôles de lecture témoigne du manque de confiance dans l’enseignement de la lecture, aussi bien de la part des enseignants que des parents. Ce contrôle ne sert à rien pour l’enfant ; c’est une préoccupation des adultes qui conduit à des comportements dangereux. Tout le monde en arrive à oublier l’essentiel qui est d’apprendre à lire ; chacun vit alors sur le raisonnement suivant : puisqu’on contrôle la lecture à travers la lecture à voix haute, apprendre à lire c’est apprendre à dire à voix haute. Le besoin de contrôle du contrôleur (bien différent de l’auto-évaluation) oblige le contrôlé à acquérir un comportement spécifique afin de satisfaire au contrôle ; ce comportement n’a plus rien à voir avec la lecture ; mieux même, il en est l’opposé. Alors que le baccalauréat devait contrôler une formation, le bachotage, pour réussir ce contrôle, conduit à une véritable déformation !

Quand le maître de cours préparatoire fait lire, tous les jours, ses élèves à voix haute, il se trompe. Leur savoir-lire n’est pas là et n’a pas évolué depuis hier. Ce que ce maître contrôle, c’est ce qu’il a enseigné ; il veut vérifier que sa leçon a été retenue...

Quand le père de famille fait prononcer chaque soir à son fils la page du livre de lecture, quand l’ami de la famille donne à dire n’importe quel texte, quand le psychologue propose un test oral pour connaître un niveau de lecture ou dépister des troubles, tous ces gens, sous prétexte de prendre de l’information sur l’enfant-lecteur, l’incitent à développer des stratégies étrangères à la lecture...

Nous ne disons pas qu’il ne faut pas avoir de regard sur l’apprentissage de l’enfant. Mais ce regard doit aider l’enfant dans sa propre démarche et non imposer la norme d’une préoccupation d’enseignement. Ce regard peut alors se justifier par deux raisons : ♦ La première concerne l’enfant lui-même : il s’agit de mettre à sa disposition de l’information sur son comportement. « Si ton projet est de lire, je peux t’aider à réfléchir à ce que tu fais ». Cette voie ne conduit pas à un contrôle mais à l’apport modéré d’informations qui pourront être utilisées par l’apprenti dans sa démarche d’auto-évaluation. Un peu comme on dit à un nageur qu’à le regarder depuis le bord, on a l’impression qu’il ne va pas assez droit ou que ses jambes battent souvent hors de l’eau. Il est peu probable qu’il puisse s’en apercevoir seul... ♦ La seconde raison concerne l’adulte. Celui qui se propose d’aider, surtout s’il s’agit d’un enseignant, doit se demander si ce qu’il fait est utile à celui qui apprend. Mais, quand un instituteur a choisi d’enseigner la conjugaison pour aider l’enfant à mieux s’exprimer oralement et qu’il souhaite se rassurer sur l’efficacité de ce choix, ce n’est pas en interrogeant les élèves sur la conjugaison qu’il vérifiera s’ils communiquent mieux.

Le champion du monde de boxe n’est pas celui qui saute le mieux à la corde

En d’autres termes, on ne saurait évaluer les effets d’une aide en mesurant comment le sujet se comporte dans cette aide, mais en en revenant au comportement global pour lequel cette aide a été proposée. Ainsi, faire « dire à voix haute » pour évaluer la lecture est aussi stupide que d’organiser une rencontre entre boxeurs au cours de laquelle le vainqueur sera celui qui saute le mieux à la corde, sous prétexte que le saut à la corde est un aspect important de l’entrainement à la boxe ! Encore, cette comparaison est-elle insuffisante car si le rapport entre le saut à la corde et la pratique de la boxe est vraisemblable, celui entre l’oralisation et la lecture ne l’est pas !

Nous allons reprendre successivement ces deux points : ► Comment aider l’enfant dans la connaissance de sa manière d’être lecteur. ► Comment vérifier les effets des aides techniques qu’on lui apporte.

Évaluer la lecture, c’est décrire les rencontres de l’enfant avec l’écrit

Sait-il lire ? Personne ne peut répondre à cette question, ni pour lui ni pour un autre, à moins de prendre le temps de définir en quoi consiste cette lecture. Si des adultes veulent répondre à cette question pour un enfant, il leur faudra au préalable recenser les rencontres de l’enfant avec l’écrit.

Lit-il ? Que lit-il ? Comment lit-il ? Alors, seulement pourra être apprécié le degré du « savoir-lire ». Sinon, on ne mesure qu’un « savoir-déchiffrer » qui pourrait se vérifier plus aisément en présentant à l’enfant un texte latin. Il reste encore des nostalgiques qui osent affirmer, en s’abritant derrière des chiffres, qu’un enfant peut être un très bon lecteur et ne rien comprendre à ce qui est écrit : mais cette croyance dans la possibilité de transformer mécaniquement de l’écrit en oral soulève une méfiance grandissante.

La question : sait-il lire ? Se décompose ainsi : ♦ Quelles questions pense-t-il poser à l’écrit ? ♦ Quelles réponses, satisfaisantes pour lui, trouve-t-il ? ♦ Quels moyens utilise-t-il ? Nous n’allons pas donner ici une grille d’observations détaillées, mais plusieurs pistes qu’il sera facile et agréable d’explorer.

Au cours de la journée, de la semaine Quel volume d’écrit a-t-il utilisé ? Quelle est la diversité de cet écrit ?

♦ écrit de la rue : panonceaux, affiches, plaques indicatrices, tracts, publicités, annonces... ♦ écrit de la maison : sur les jouets, sur les journaux, sur les livres, sur les revues, sur la nourriture, le courrier, les affaires de classe des frères et sœurs, les albums, les catalogues... ♦ écrit de la télévision : programmes, titres d’émissions, « Les chiffres et les lettres », etc. ♦ écrit des bibliothèques : fiction, albums, revues, bandes dessinées, documentaires... ♦ écrit de l’école : exercices, enquêtes, correspondance, etc. ♦ écrit des groupes de vie : clubs, associations formelles et informelles, etc.

Pour faire quoi ?

♦ pour se repérer dans la rue, dans les grands magasins... ♦ pour compléter une information (le titre d’un livre, d’un film dont la photo a attiré l’attention), ♦ pour le plaisir d’exercer le pouvoir naissant de lire, ♦ pour trouver ou ranger quelque chose (jouets, livres, nourriture, objet...) ♦ pour connaître un mode d’emploi, un fonctionnement, une recette... ♦ pour obtenir une information précise : programme télé, numéro de téléphone, horaire... ♦ pour prendre connaissance de nouvelles : courrier, journal... ♦ pour prendre une décision, ♦ pour continuer l’action en cours, ♦ pour être avec une autre personne, ♦ pour faire comme une autre personne, ♦ pour se documenter sur un sujet précis : catalogue, ouvrage documentaire... ♦ pour une curiosité a priori : lecture d’un périodique, d’un journal. ♦ pour découvrir une histoire nouvelle : roman, bande dessinée, etc. ♦ pour retrouver une histoire connue, »pour choisir un livre, un journal, ♦ pour donner une information à quelqu’un ou lire quelque chose à quelqu’un, ♦ pour participer à quelque chose qui contient de l’écrit : jeu, émission TV, ♦ pour faire un travail scolaire, ♦ pour suivre une activité à la bibliothèque, etc.

Quelles réponses a-t-il trouvées ?

♦ D’abord, a-t-il trouvé ? ♦ Ensuite, est-il satisfait par rapport à sa question ou son envie ? Comment s’y prend-il ? ♦ Est-ce laborieux, difficile, décourageant parce que trop long ? ♦ Cela s’intègre-t-il bien à son projet, sans représenter un détour qui devient une action en soi ? ♦ Est-il allé vers les écrits qui correspondent à son attente, à ses possibilités ? ♦ A-t-il cherché à avoir accès à des écrits mieux adaptés ? ♦ Utilise-t-il bien les sommaires, les tables des matières, la mise en page, les sous-titres ? ♦ Parcourt-il d’abord le texte pour se faire une idée d’ensemble, avant d’entreprendre une lecture plus en détail ? ♦ Discute-t-il avec d’autres personnes à propos de l’écrit qu’il utilise pour obtenir davantage d’informations, pour échanger des impressions, des avis ?

C’est seulement à partir d’une telle observation qu’on aura une idée de sa manière d’être lecteur, et ceci dès les premières années. Ce n’est pas à dix ans que cette observation est le plus nécessaire, mais dès trois ou quatre ans.

On constatera que beaucoup d’enfants, dont on dit qu’ils savent lire, commettent en réalité fort peu d’actes de lecture, et que d’autres, qu’on peut prendre à travers les contrôles ordinaires pour de piètres lecteurs, ont des recours importants à l’écrit. Cette observation ne transforme pas l’adulte en espion ou en voyeur. Elle n’est pas tracassière et doit se faire avec l’enfant lui-même : elle n’a pas d’autres raisons que de l’aider à se découvrir et à avoir, avec l’écrit, des interactions toujours plus diversifiées et plus fructueuses.

Vérifier les effets des aides, c’est observer les aspects techniques des actes de lecture

L’observation précédente porte sur la fonctionnalité de la lecture à travers l’intégration à la vie même de l’enfant, de ses recours à l’écrit. Mais il est également souhaitable de prélever de l’information sur les aspects techniques que l’enfant met en œuvre au cours de ses actes de lecture. Il est évident que ces aspects font partie du comportement de lecteur, et qu’ils doivent être observés au cours des actes de lecture et non dans des situations artificielles.

Voici quelques-uns des éléments qui doivent être vérifiés.

♦ l’enfant embrasse du regard au minimum des mots entiers, jamais des lettres ; ♦ quand il se trouve devant un mot qu’il ne connaît pas, il le saute et cherche à en deviner le sens ; ♦ les lèvres, la bouche, la gorge restent immobiles, les yeux bougent mais pas la tête ; ♦ l’enfant est détendu, comme lorsqu’il est devant la télévision ; on n’observe pas de crispation ; ♦ l’enfant explore la page entière avant de regarder les détails et donne du sens à la mise en page ; ♦ le temps des fixations est court, les yeux sont mobiles, se déplacent vite et trouvent facilement des repères ou des indices dans le texte ; ♦ l’enfant est capable de dire ce qu’il cherche, ce qu’il s’attend à trouver, à quoi il suppose qu’il va le repérer ; ♦ lorsqu’il lit quelque chose à quelqu’un, les yeux sont en avance sur les lèvres ; il ne dit pas tout mais seulement ce qui lui semble important, il change éventuellement de phrases. Il sait pourquoi l’autre l’écoute ; ♦ Il est capable de trouver très rapidement un mot dans un texte, une page dans un livre, un article dans un journal, etc.

Là encore, ces observations doivent se faire très tôt, elles garantissent que l’apprentissage de la lecture se déroule normalement et que l’enfant ne développe pas de comportements nocifs. Elles doivent toujours déboucher sur des échanges et des discussions. Les adultes accepteront d’être, à leur tour, observés par les apprentis-lecteurs ; les stratégies seront expliquées, comparées entre les enfants, et avec les adultes. Rappelons qu’une des difficultés de la lecture (peut-être la seule), c’est que les enfants ne sont jamais témoins des actes de lecture que les adultes ne cessent pourtant de commettre devant eux.

Ces observations ne seront pas suspicieuses. Il faut renvoyer l’information aux enfants pour les conduire à réfléchir à leur propre activité et ne manifester aucune inquiétude car ils savent ce qui est bon pour eux. Lorsqu’ils font de mauvais choix, c’est que leur environnement ne leur permet pas d’en faire de meilleurs.

Nous espérons avoir montré qu’une bonne connaissance de la lecture, associée à une compréhension de la manière dont l’enfant apprend, transforme le regard que l’adulte pose sur l’histoire des lecteurs.

Il faut refuser de contrôler la lecture. Ce mot est moralement affreux et témoigne d’une méfiance coupable envers l’enfance. Mais il ne faut pas pour autant « laisser faire » en pensant que tout ira bien. Il faut discuter avec l’enfant de l’information dont il a besoin. Cette attitude conduit à lui ouvrir des voies fertiles et fait ressortir l’aspect grossier et néfaste des habitudes qui sont en usage aujourd’hui.

« La maladie du contrôle et la nécessité de l’évaluation »